Christophe Bregnard

Auto­di­dacte, Chris­tophe Bregnard (1975*) est sculp­teur et plas­ti­cien. Après une brève période inspi­rée par les marbres sensuels d’Henry Moore (1898–1986), il trouve sa voie dans le détour­ne­ment d’objets. Attiré tant par la récu­pé­ra­tion d’objets (jantes de roues, paniers à vapeur, globes de mariée) que par les maté­riaux contem­po­rains (résine, laque, poly­sty­rène), l’ar­tiste s’in­té­resse prio­ri­tai­re­ment aux ques­tion­ne­ments que suscite l’oeuvre.

Lire et appri­voi­ser les sculp­tures de Chris­tophe Bregnard demande du temps. Certaines évoquent des objets tridi­men­sion­nels plau­sibles tel un tonneau de vin (Fish Basket, 2010) ou une ancienne ampoule (Yellow, 2010) alors que d’autres, comme The one (2009), Mariage de formes (2011) ou Let me go (2010), ne font appel à aucun voca­bu­laire connu. Ainsi, privé de sa mémoire, le spec­ta­teur doit accep­ter de se confron­ter à un volume étrange qu’il n’iden­ti­fie pas, qui ne sert à rien (au sens utili­taire du terme) si ce n’est à bous­cu­ler les images auxquelles il s’at­tend. Ces nouvelles formes et ces volumes inédits semblent faits pour rappe­ler au spec­ta­teur un ancien proverbe syrien : «imagi­ner n’est pas voir.» Ailleurs, l’objet suscite diverses inter­pré­ta­tions, amenant celui qui s’in­ter­roge jusqu’à l’in­con­fort de l’in­cer­ti­tude produite par la poly­sé­mie.

Si Chris­tophe Bregnard vit encore dans le Jura et non à Paris ou à Berlin, c’est parce que la nature joue un rôle essen­tiel dans sa démarche. Elle lui offre un cadre médi­ta­tif où il puise son inspi­ra­tion et parfois même la matière première de ses créa­tions (plumes de paon, char­dons bleus, cham­pi­gnons des bois).

Actuel­le­ment, le plas­ti­cien travaille aussi le bois, sous la forme de planches de bouleaux collées. Décou­pées, poncées, cares­sées, les lamelles de bois se soumettent aux exigences de l’ar­tiste et deviennent, sous ses mains, l’em­preinte lais­sée par une fleur (Flowers, 2018), une auréole géante ou un désert de dunes aux courbes sensuelles (When the night falls, 2019).

Inspi­rée par le mobi­lier litur­gique qu’il a récem­ment créé à Delé­mont et nour­rie par un voyage au Rajas­than, la spiri­tua­lité s’est progres­si­ve­ment invi­tée dans la théma­tique du moment. Évidente, elle trans­pa­raît dans l’éclat de la feuille d’or ou dans le désir d’ima­gi­ner des formes suspen­dues voire en lévi­ta­tion (Levi­ta­tion, 2018/2019). L’idée de la spiri­tua­lité appa­raît encore plus subti­le­ment dans le choix de formes géomé­triques. Ainsi, le cercle qui évoque le divin dans de nombreuses tradi­tions est au coeur de Sky Reflect (2018). Mais l’ar­tiste crée aussi sa propre géomé­trie sacrée en privi­lé­giant l’hexa­gone. Figure inter­mé­diaire entre le carré et le cercle, il symbo­lise, à ses yeux, un deve­nir, un élan, un possible.

Isabelle Lecomte